
L’artiste Belgique Léo Luccioni adresse les questions contemporaines dans les images de la consommation et des objets quotidiens. Son œuvre, plein de références art historiques, est également chargé de critique et de l’humeur. Le pomme du Paradis qui demande un second regard.
Christina-Marie: Quel est ton goût préféré de Lays Chips ?
Léo Luccioni: Grace au projet de collection de Géode artificielle cristallisées dans des paquets de chips, j’ai goûté une grande partie des chips du monde entier. C’est comme un tour du monde gustatif de la junkfood. « Cheetos Chipito goût fromage » et les » Lotto Classic best food » se partage la place ex æquo de chips les plus horribles, elles ont un goût de pied, mais une esthétique de dingue. Curieusement, ce sont celles qui ont le goût le plus monstrueux qui sont les plus attirantes visuellement… Personnellement, j’ai récemment basculé du côté sombre, avec les Doritos Sweet Chilli Pepper.
CM: Tu es un ‚foodie‘ (une personne qui aime manger)?
LL: Sans hésitation. Par contre, je m’intéresse à la nourriture industrielle seulement pour ses esthétiques et ses dérives qui me fascinent. J’envisage certains des produits de cette industrie comme des marqueurs temporels, voué à disparaître.
CM: Comme je n’ai pas trouvé d’informations sur ton site, quelques mots sur ta formation artistique. Tu as étudié ou?
LL: J’ai étudié en Printmaking à La Cambre à Bruxelles. Ces études centrées sur l’image imprimée continu à influencer l’entièreté de mon travail. L’Image est pour moi omniprésente et fondatrice dans nos sociétés.
CM: Tes premières mémoires de l’art?
LL: Je n’ai pas de souvenir précis d’un premier rapport à l’art, j’ai toujours fabriqué des choses. Par contre, ma pratique a fini par polluer et influencer mon regard sur le monde. Je ne peux plus aller dans un bazar sans avoir l’impression d’être dans une excellente installation.
CM: Tu vraiment crois que un jour il y pourrait se créer des géodes dans de de Lays, où des autre packages?
LL: Étant donné que les géodes cristallisent à partir de poche d’air ou de gaz sur des millions d’années et qu’il n’y a que de l’air dans les paquets de chips, j’ai cette croyance.
CM: Quel est le message principal donc que tu aimerais porter avec ces œuvres ?
LL: Dans cette série de Géodes, il y a la recherche d’un objet poussé à son état-limite, avec une contradiction très forte, entre les matériaux et ce qu’ils symbolisent.
Cette collection parle de notre rapport au temps, de la temporalité avec laquelle on vit et on consomme les objets. Transformer un déchet en relique, c’est aussi une forme d’oxymore pour parler de la dualité complexe qu’on entretient avec les objets produits par nos sociétés. Parfois, nous ressentons simultanément des sentiments de désir et de rejet pour une forme et ce qu’elle symbolise. Une majorité de gens rejettent le système de la société de consommation, pourtant, malgré tous ses défauts elle produit des objets aux techniques et aux esthétiques fascinantes.
Depuis toujours, les objets que l’on ne pouvait pas reproduire ont de la valeur. À notre époque, nous jetons des objets qu’aucun faussaire ne peut reproduire, imiter une peinture est plus évident qu’une canette de soda. Probablement, lorsque ces objets disparaîtront ils deviendront précieux. Autant que les jarres de l’antiquité étaient sans valeur à leur époque et sont précieuses aujourd’hui.
CM: Autant que critique, tes œuvres sont toujours très esthétique. Quel rôle est-ce que l’esthétique joue dans ta pratique artistique?
LL: J’envisage l’esthétique dans mon travail comme un ensemble de code et de signes que l’on peut utiliser en tant que langage. Bien qu’elle puisse sembler superficielle, elle est vectrice de sens. Elle permet d’ajouter un caractère à un objet et de construire un discours et dans mon cas souvent allégorique. Les entreprises de notre époque sont plus productrices de culte que de marchandise, et cela passe par les valeurs assigné aux signes esthétique. Nous sommes dans une société où il y a un culte esthétique très fort, l’histoire et les valeurs qui sont rattaché aux objets prime sur l’usuel.
CM: Tu as une voiture ?
LL: J’ai une ZX avec lecteur cd et une compil de Francky Vincent.
CM: Quel est ton supermarché préferé ?
LL: Mes supermarchés préférés sont les bazars, ou tu passes d’un outil, à un jouet ou un snack. J’ai l’impression d’être sur Alibaba, de rentrer dans la matrice.
CM: Ton œuvre est très divers – des sculptures, des peintures, installation, objets, gravures – d’où est-ce que tu prends ton inspiration ?
LL: J’ai toujours aimé la diversité dans la pratique de l’art. Tous les médiums m’intéressent, qu’il soit associé à l’art ou non. Je prends mes inspirations partout, dans les conversations, dans les films, dans la rue, dans les livres, dans les magasins ou sur Internet : tout peut être le point de départ d’un détournement ou d’une nouvelle histoire. C’est moins évident de communiquer son travail quand il prend une pluralité de forme. Beaucoup d’artistes ont des pratiques plus lisibles, ils font de la peinture, de la céramique ou de la vidéo, le médium devient un message ou une signature. Pour rendre plus lisible mon travail, j’ai dû le recentrer sur certains sujets, ou avec un ton commun. Sinon je partirais bien dans des directions complétement différentes, même pourquoi pas avoir des pseudonymes.
CM: Ton œuvre est également plein de références de l’histoire de l’art. Quel rôle est-ce qu’elle joue pour ta pratique, tu as une formation théorique de l’histoire de l’art ?
LL: Se référencer à ce qui a été fait ou ce qui existe présentement cela permet d’inscrire son propre travail dans une temporalité et d’en proposer un nouveau regard. C’est important pour moi que cette attitude reste un jeu plutôt qu’un prétexte à chaque nouvelle proposition.
CM: Une question ‘standard’ de moi : quels sont tes auteurs, écrivains ou théoriciens préférés ?
LL: J’aime beaucoup Michel Houellebecq et Frédéric Beigbeder qui m’ont beaucoup marqué, j’apprécie la manière dont il décortique le monde. Aussi Chuck Palahniuk lorsqu’il plonge dans des situations ou des milieux sociaux et en extrait un récit. Du côté théorique, Naomie Klein avec NO LOGO a une résonnance particulière avec mon travail.
CM: Concernant Out of the Blue: est-ce que cette œuvre montre le future, le passé, une utopie/dystopie ?
LL: Out of the Blue, qui est un globe terrestre entièrement bleu, faisait partie de l’installation WATERWORLD. Elle prenait pour point de départ le dernier blockbuster diluvien et iconique de 1995 avec Kévin Costner. Suite à des recherches sur l’origine du déluge, que l’on retrouve dans toutes les civilisations sous différentes formes, j’étais tombé sur le fait d’origine, une catastrophe naturelle datant de -7500 avant J.C. Kevin Costner était présenté comme le nouveau messie d’une fable post apocalyptique. Dans cette installation, la voix française originale de Kévin Costner lisait un long monologue, expliquant l’origine du mythe du déluge et sa vision du futur de l’humanité.
CM: Il y a une critique presque universelle dans ton œuvre : la consommation, le carbone, le gaspillage de l’eau, le sucre, les caractères religieuses ou missionnaires, les – fautes – idéals sociaux. Encore, quel sont tes sources pour cette critique universelle ?
LL: Je suis sensible aux questions liées aux dérives et aux maux de la société de consommation. Les sujets qui reviennent dans mon travail peuvent sembler critique, pourtant, je n’envisage pas du tout d’une manière politique. Pour moi, c’est une forme de poésie à la fois populaire et existentielle, un jeu sur les associations de sens. Ces sujets en sont gorgés, ils sont même souvent des symboles et donc très possiblement allégorique.
CM: L’humeur – noir – accompagne presque tous tes œuvres. Quelle est ta définition de l’humeur ? Qui où quoi est-ce que tu regardes comme comique/ humoriste ?
LL: L’autodérision est l’un des plus beaux outils que la vie peut nous offrir, elle nous permet de nous sortir de toutes les impasses, de toutes les situations sociales compliquées, de toutes les angoisses.
Dans ma pratique de l’art, j’ai mis du temps à déconstruire la recherche de sérieux à laquelle on nous oriente dans les études et à accepter une part d’autodérision dans ma pratique. L’humour n’est pas aisément pris au sérieux dans le milieu de l’art. Mais, pour moi, ce n’est pas de l’humour noir, seulement, lorsqu’on réunit des éléments qui ne sont pas censé l’être, il y a un effet de surprise et la base de l’humour, c’est l’effet de surprise. Mais je ne cherche pas à être drôle, je recherche la rencontre explosive.
CM: Pour en finir : ton Haribo préféré ?
LL: Les acides.
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